
Par Mondher Sassi
J’avais à peine 15 ans quand j’ai appris que mon frère aîné était détenu pour des raisons dites alors politiques. C’était en septembre 1981, l’appareil du régime de Habib Bourguiba se déchaînait contre les élèves et les étudiants lors des événements accompagnant la fondation du Mouvement de la Tendance Islamique (MTI). Je me souviens avoir alors été tiraillé entre deux sentiments : le chagrin de perdre un co-supporter tenace du Club Africain, mon habile entraîneur de lutte et de football d’une part ; la fierté d’avoir un frère qui, estimais-je naïvement, s’élançait sur le sillage patriotique d’un homme grandissime, notre grand-père « Sidi » cheikh Hafnaoui et de notre père cheikh Slimane, naguère irréductibles militants contre le colonisateur français.
Peu à peu l’image de mon intime complice se dissipait, il ne m’était plus donné de vanter ma bravoure auprès de lui après avoir emporté un duel contre un camarade du quartier, ou après avoir marqué un but dans un match de football. Soumis très tôt à une épreuve si pesante, Naoufel n’appartenait désormais plus à notre heureux monde enfantin, son expérience l’emportait loin de nos préoccupations communes. J’admirais désormais son endurance face aux harcèlements policiers et sa nouvelle qualité d’étudiant calé et persévérant. Mon envie était alors insatiable de le voir, ardent polémiste, dialoguer avec untel de ses semblables, espérant lui être un jour un interlocuteur égal et faire partie de son cercle.
Bien plus tard, de retour en Tunisie d’un long séjour d’études et de travail au Liban, j’avais un désir éperdu de récupérer mon riche univers familial et surtout de retrouver mon vieil ami. Je croyais m’être pourvu d’une importante provision d’informations sur ce coin du monde dont Naoufel a tant chéri la résistance et le rayonnement culturel. Je ne m’attendais pas à découvrir chez cet homme interdit depuis de longues années de franchir les frontières de son pays cette connaissance précise de la vie politique, sociale et culturelle de la région où je résidais. Parfois, je m’empêtrais dans des explications confuses pour m’élever au niveau de pertinence de ses analyses des divers enjeux et des nombreux clans et partis politiques dont foisonne la terre du Liban.
Naoufel est un homme stoïque, imperturbable. Il a toujours été pour moi l’aîné soucieux de ne pas transmettre le moindre sentiment de faiblesse devant la plus grave des situations. Il agira plus tard de même avec son fils Mohamed Ikbal (unique héritier du caractère taquin de son père) qui m’a un jour innocemment confié n’avoir jamais rencontré un homme d’une vigueur égale à celle de son papa. Quant à ses deux filles, Cheyma et Wala, elles ne cessent de nous interroger sur les raisons de la détention de leur père, alors que rien en lui ne leur semble incorrect.
Aujourd’hui, les absurdités juridico-policières tunisiennes semblent devenir tout à fait ordinaires, relevables par les esprits les plus simples. Par exemple, rien n’est plus aussi facile pour un agent de police que de coller l’attribut de "salafiste" à qui bon lui semble. Naoufel peut être traité de tous les qualificatifs sauf celui de "salafiste". Son attachement à la musique et aux arts (loin d’être les passions d’un adepte de ce courant religieux) suffit pour moi à le "disculper" d’une telle orientation. Je me rappelle de son admiration immense pour Feyrouz, Najet Essaghira, Marcel Khalife, pour les groupes engagés de chanteurs marxistes tunisiens et pour tant d’autres grandes voix qu’il continue à être habitué d’écouter. Par ailleurs, il faut peut-être noter pour ceux qui ne le connaissent pas que l’un des principes fondamentaux du "salafisme" est l’interdiction totale de figurer avec sa femme sur une photo.
Quoi qu’il en soit, il est peut-être rassurant pour les libres esprits enfermés dans les geôles du pays --et pour n’importe quel observateur du déroulement de l’Histoire qui sait que nul ne peut échapper à ses ruses-- de se rendre compte que cette politique en cours qui veut à tout prix entraîner le pays dans le chaos est le signe avant-coureur de la fin tragique d’un règne qui va droit au suicide.
Peu à peu l’image de mon intime complice se dissipait, il ne m’était plus donné de vanter ma bravoure auprès de lui après avoir emporté un duel contre un camarade du quartier, ou après avoir marqué un but dans un match de football. Soumis très tôt à une épreuve si pesante, Naoufel n’appartenait désormais plus à notre heureux monde enfantin, son expérience l’emportait loin de nos préoccupations communes. J’admirais désormais son endurance face aux harcèlements policiers et sa nouvelle qualité d’étudiant calé et persévérant. Mon envie était alors insatiable de le voir, ardent polémiste, dialoguer avec untel de ses semblables, espérant lui être un jour un interlocuteur égal et faire partie de son cercle.
Bien plus tard, de retour en Tunisie d’un long séjour d’études et de travail au Liban, j’avais un désir éperdu de récupérer mon riche univers familial et surtout de retrouver mon vieil ami. Je croyais m’être pourvu d’une importante provision d’informations sur ce coin du monde dont Naoufel a tant chéri la résistance et le rayonnement culturel. Je ne m’attendais pas à découvrir chez cet homme interdit depuis de longues années de franchir les frontières de son pays cette connaissance précise de la vie politique, sociale et culturelle de la région où je résidais. Parfois, je m’empêtrais dans des explications confuses pour m’élever au niveau de pertinence de ses analyses des divers enjeux et des nombreux clans et partis politiques dont foisonne la terre du Liban.
Naoufel est un homme stoïque, imperturbable. Il a toujours été pour moi l’aîné soucieux de ne pas transmettre le moindre sentiment de faiblesse devant la plus grave des situations. Il agira plus tard de même avec son fils Mohamed Ikbal (unique héritier du caractère taquin de son père) qui m’a un jour innocemment confié n’avoir jamais rencontré un homme d’une vigueur égale à celle de son papa. Quant à ses deux filles, Cheyma et Wala, elles ne cessent de nous interroger sur les raisons de la détention de leur père, alors que rien en lui ne leur semble incorrect.
Aujourd’hui, les absurdités juridico-policières tunisiennes semblent devenir tout à fait ordinaires, relevables par les esprits les plus simples. Par exemple, rien n’est plus aussi facile pour un agent de police que de coller l’attribut de "salafiste" à qui bon lui semble. Naoufel peut être traité de tous les qualificatifs sauf celui de "salafiste". Son attachement à la musique et aux arts (loin d’être les passions d’un adepte de ce courant religieux) suffit pour moi à le "disculper" d’une telle orientation. Je me rappelle de son admiration immense pour Feyrouz, Najet Essaghira, Marcel Khalife, pour les groupes engagés de chanteurs marxistes tunisiens et pour tant d’autres grandes voix qu’il continue à être habitué d’écouter. Par ailleurs, il faut peut-être noter pour ceux qui ne le connaissent pas que l’un des principes fondamentaux du "salafisme" est l’interdiction totale de figurer avec sa femme sur une photo.
Quoi qu’il en soit, il est peut-être rassurant pour les libres esprits enfermés dans les geôles du pays --et pour n’importe quel observateur du déroulement de l’Histoire qui sait que nul ne peut échapper à ses ruses-- de se rendre compte que cette politique en cours qui veut à tout prix entraîner le pays dans le chaos est le signe avant-coureur de la fin tragique d’un règne qui va droit au suicide.